Le 25 octobre, AgroParisTech accueillait la table ronde “Quels outils pour une transition agroécologique à horizon 2050?” organisé dans le cadre de la semaine de l’agriculture du mastère spécialisé Politique et action publiques pour le développement durable. Autour de la table :

-         Arnaud Delestre, Président de la chambre d’agriculture de l’Yonne et 2ème vice-président de la FDSEA de l’Yonne,

-         Véronique Le Floch : présidente de la Coordination Rurale (CR) (syndicat classé politiquement à droite, et est parfois considéré comme étant proche de l'extrême droite^[1]),

-         Benoit Bonaimé : Directeur général de l’enseignement et de la recherche au Ministère de l’Agriculture (MASA)

-         Philippe Henry : président de l’Agence bio (organisme sous tutelle du ministère).

Lorsque dans la salle on interroge le choix de ce panel, laissant entendre un malaise quant à l’absence de la Confédération Paysanne, 3e syndicat représentatif agricole, l’animateur répond qu’on ne peut malheureusement inviter tout le monde mais qu’il est certain qu’une forme de diversité saura être représentée. En fait, le pluralisme cher à AgroParisTech attendra et, à l’exception de quelques piques envoyées par la CR à ses collègues, les échanges montreront l’unité, au moins de façade, des quatre intervenant.e.s.

La palme du ridicule revient à la Coordination Rurale qui prouve ne rien y comprendre en confondant agroécologie et agrologie: “Le mot écologie ne nous fait pas peur à la CR, mais on préfère l’agrologie à l’agroécologie”. La CR vante la transition en action en rappelant que 47% des exploitations sont en TCS (Techniques Culturales Simplifiées) et que celle-ci y participe: “On agit dans cette transition, par exemple on organise le festival du non labour et du semis direct”. Mais peut-on réellement dire que le TCS soit de l’agroécologie ? La question ne se pose même pas pour cette table ronde qui a décidé de tout mettre derrière ce mot, comme le rappelle P. Henry de l’agence bio : “ L'intérêt de l’agroécologie c’est qu’on peut mettre plein de choses derrière.”

Les agroécologues de l’INRAE n’iront pas jusqu’à dire que les TCS sont de l'agroécologie, et débattent même sur l’ACS (Agriculture de conservation des sols) qui est plus exigeante. On est loin d’avoir enclenché la transition, mais ce n’est pas ce que pense l’agent du ministère : “Je n’aime pas le terme horizon 2050 dans la question, cela laisse croire que la transition n’a pas commencé, alors que si, on est en pleine transition”. Rappelons quelques chiffres pour Monsieur Bonaimé:

●      Pesticide: le NODU total (moyenne triennale en France) ne fait qu’augmenter depuis 2009^[2], alors que le plan ECOPHYTO exigeait une réduction de moitié. Non, la transition n’a pas commencé.

●      Biodiversité: Effondrement de l’abondance des insectes en Europe entre 1989 et 2014 (- 80% ^[3]). Diminution générale de l'abondance des oiseaux communs en Europe entre 1980 et 2016 (−25,4 % ± 2,8). En particulier, les populations d'espèces des terres agricoles ont été plus affectées (−56,8 % ± 4,9).^[4] Non, la transition n’a pas commencé.

●      Nombre d’exploitations: Le nombre d’exploitations agricoles divisé par 4 entre 1970 et 2020, ce qui traduit un agrandissement et une intensification des pratiques^[5]. Non, la transition n’a pas commencé.

●      Émissions de CO2eq: Des émissions CO2eq quasi-stagnantes en grande culture. Une baisse de 8% depuis 1990 au total en France, due à la diminution du cheptel bovin et de la SAU, qui cache une absence de mesure profonde^[6]. Non, la transition n’a pas commencé.

●      Pollutions des eaux: En 2017, plus de 60 % des eaux dépassent le seuil de la présence naturelle des nitrates dans les nappes. Entre 2000 et 2020, les teneurs en nitrates sont en légère augmentation (8 %) dans les eaux de surface et pas d’amélioration dans les eaux souterraines^[7]. Non, la transition n’a pas commencé.

●      Erosion des sols: “Chaque année en France, les sols perdent en moyenne 1,5 tonne de terre par hectare en raison du ruissellement des eaux. Cette situation est aggravée par l'intensification de l'agriculture, le surpâturage, la déforestation ou l'imperméabilisation.”^[8]. Non, la transition n’a pas commencé.

Mais finalement, à quoi pouvait-on s’attendre ? Le ministère de l'agriculture, une agence de l'Etat qui mise sur la volonté du consommateur pour faire changer les choses, et deux syndicalistes issus d'organisations connues pour leur conservatisme en matière de modèle agricole pour représenter toute la diversité des visions de l’agriculture ! Résultat: trois heures de langue de bois ou l’on se renvoie la balle gentiment et où l’on parle de tout sauf d’agroécologie. Lorsqu’on ne sait plus où botter, on s’en prend à la grande distribution et à l’amont, qui ont le bon goût de ne pas être autour de la table. Presque aucun désaccord entre les intervenant.e.s, on pourrait croire que la crise agricole, écologique, climatique et sociale soit en fait une farce. Et AgroParisTech peut endosser une part de responsabilité, qui défend une diversité des points de vue uniquement quand cela l’arrange ! Si l'agroécologie était bien représentée dans notre formation et si des événements réellement tournés vers l'agroécologie pouvaient avoir lieu sans contrainte à AgroParisTech, cette table ronde serait moins problématique. Ce n'est malheureusement pas le cas. [9] [10]

Nous demandons que les débats et tables rondes soient ouverts à tous les acteurs et que ceux-ci ne soient plus censurés par AgroParisTech (APT). Nous demandons que le Conseil d’Administration et le Conseil Scientifique d’APT soit plus représentatif de la diversité des points de vue et que les entreprises privées n’y siègent plus. Nous demandons un changement des programmes du cycle ingénieur d’APT et une exclusion de Total, Eureden, Bigard et l’Oréal (entre autres) du forum des entreprises pour leurs controverses environnementales et sociales. Sans cela, et de tant d’autres initiatives à multiplier à tous les niveaux, la transition agroécologique sera la façade verte d’une maison qui brûle. 

^[1]https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/01/entre-le-rn-et-la-coordination-rurale-une-proximite-ideologique-et-des-accointances-locales_6219533_823448.html

^[2] https://agriculture.gouv.fr/indicateurs-des-ventes-de-produits-phytosanitaires-le-gouvernement-rend-public-les-donnees

^[3] Caspar A. Hallmann et al. 2021, Insect biomass decline scaled to species diversity: General patterns derived from a hoverfly community, PNAS, https://doi.org/10.1073/pnas.2002554117

^[4] Rigal et al. 2023, Farming practices are driving bird population decline across Europe, PNAS, https://doi.org/10.1073/pnas.2216573120

^[5] Agreste, recensements agricoles. https://www.insee.fr/fr/statistiques/7728861?sommaire=7728903#:~:text=En%202020%2C%20la%20France%20m%C3%A9tropolitaine,3%2C5%20%25%20par%20an.

^[6]https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/climat/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-et-l-empreinte-carbone-ressources/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-de-l-agriculture

^[7] Gouvernement https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/la-pollution-des-eaux-superficielles-et-souterraines-en-france-synthese-des-connaissances-en-2023

^[8] SDES, compte satellite de l'environnement,2022 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/les-sols-en-france-synthese-des-connaissances-en-2022#:~:text=Sols%20et%20agriculture,-Les%20sols%20fournissent&text=Chaque%20ann%C3%A9e%20en%20France%2C%20les,la%20d%C3%A9forestation%20ou%20l'imperm%C3%A9abilisation.

[9] https://reporterre.net/J-ai-honte-de-mon-ecole-AgroParisTech-annule-l-invitation-de-militants-ecolos

[10] Avis_initiatives_etudiantes_-_Avril_2024-2.pdf : https://drive.google.com/file/d/1qj2U4i5bYv4QG0E1k-_oUqa_vHw_9c9k/view?usp=sharing