Pour une réforme plus juste du 3ème cycle spécialisé dans les conservatoires

Destinataire(s) : La direction générale de la création artistique (DGCA)
Pour une réforme plus juste du 3ème cycle spécialisé dans les conservatoires

De nombreux établissements d’enseignement artistique se sont vus récemment refuser l’agrément CPES (Classe Préparatoire à l’Enseignement Supérieur). C’est suite à ce refus qu’il nous a semblé important de rédiger ce courrier pour d’une part informer chacun de la situation, et d’autre part faire remonter le sentiment de déception, d’incompréhension, d’injustice ressenti par de nombreux enseignants artistiques. 

 

Ce sont en effet ces mêmes enseignants qui, avec les équipes de directions et les équipes administratives, ont oeuvré, non sans peine, depuis quinze ans à la mise en place et au bon fonctionnement du feu CEPI (Cycle d’Enseignement Professionnel Initial).  

Il semble du reste important de rappeler ici le bilan extrêmement positif de ces quinze années de CEPI qui ont fait l’objet d’évaluations régulières de la part de la DGCA, très satisfaite de tout ce qui a été mis en place.  

 

Un bref historique 

 

Le décret du 16 juin 2005 « portant organisation du cycle d’enseignement professionnel initial et création des diplômes nationaux d’orientation professionnelle de musique, de danse, et d’art dramatique » ordonne la mise en place d’un cursus, accessible dès la fin du second cycle (ou sur dossier attestant d’un niveau équivalent). Il est destiné à « approfondir la motivation et les aptitudes des élèves en vue d’une orientation professionnelle ». L’arrêté du 23 février 2007 relatif à l’organisation du cycle d’enseignement professionnel initial et du diplôme national d’orientation pédagogique spécifie :

- En musique : la durée (deux à quatre ans), et un volume horaire total de 750 heures. Chaque cursus est constitué d’un module principal dans la discipline dominante, d’un module associé, d’un module complémentaire ainsi qu’une unité d’enseignement choisie dans une liste d’options.  

- En danse : l'arrêté détermine trois disciplines (classique, contemporaine, jazz), chaque cursus se composant d'un module d'interprétation composé d'une discipline chorégraphique associée, de trois modules complémentaires obligatoires et d'un modèle complémentaire facultatif ; le cycle a une durée « de deux à quatre ans » et représente un volume d'enseignement de 1 024 heures.  

- En art dramatique: l'arrêté détermine les enseignements suivants : « entraînement corporel et vocal, pratique de l'interprétation, culture théâtrale, exploration et pratique de divers modes et techniques d'expression théâtrale ainsi que d'autres disciplines artistiques » ; le cycle a une durée de deux ans et représente un volume minimum de 1 056 heures. 

 

Se dégage du CEPI et du DNOP (diplôme afférent à ce cursus) une volonté … : 

 

  • … d’harmonisation des contenus d’apprentissage sur le territoire national, afin de répondre à la grande disparité des récompenses à l’issue des troisièmes cycles dans les établissements d’enseignement artistiques classés 
  • … d’offrir aux élèves « une phase d’orientation professionnelle beaucoup plus large », le cycle permettant « d’être davantage sensibilisés à l'ensemble des métiers artistiques et culturels, notamment en testant leurs capacités et leurs motivations dans des situations réelles»«le DNOP devrait pouvoir être acquis tant par le futur interprète et/ou enseignant (de conservatoire notamment) que par celui qui envisage l'enseignement artistique en collège, l'intervention à l'école élémentaire ou préélémentaire ou d'autres métiers de la musique, de la danse ou du théâtre (créateurs, chef ou directeur, métiers du son, de la culture, administratifs ou techniques...). » 

 

Seules deux régions (Nord-Pas-de-Calais et Poitou-Charentes) ont respecté la mise en place du CEPI.  

Afin de répondre à cette situation de blocage (renforçant la disparité et l’illisibilité des cursus des établissements d’enseignements artistiques sur le plan national avec les risques de décrédibilisation du DNOP par rapport à d’autres diplômes), un nouveau cursus remplaçant le CEPI voit le jour : le CPES (classe préparant à l’enseignement supérieur). Les conditions d’agrément de ce cursus prévoient notamment « la réunion d’un effectif global d’au moins quinze élèves sur un ensemble de disciplines durant l’année précédant la demande pour un premier agrément et pour une demande de renouvellement la réunion d’un effectif global d’au moins trente élèves en moyenne sur un ensemble de disciplines durant les cinq années scolaires couvertes par le précédent agrément » 

Dans le guide pratique d'une demande d'agrément CPES, datant de septembre 2019 et communiqué par le gouvernement figure : « l’objectif de cet agrément est de proposer une offre publique d’enseignements préparatoires exigeante répartie équitablement sur le territoire national afin d’offrir à tous les jeunes les mêmes chances d’entrée dans l’enseignement supérieur de la création artistique et ainsi de favoriser la diversité des profils des artistes de demain, notamment par l’ouverture de droit à bourse. Une attention particulière doit donc être apportée aux établissements qui cherchent à accompagner les élèves les plus défavorisés et à ceux qui développent la mise en réseau des établissements. » 

 

Une succession de paradoxes 

 

Et voilà que des établissements qui ont eu la chance de se trouver dans une région qui a respecté la loi et mis en place le CEPI se voient aujourd’hui refuser l’agrément CPES. Rappelons que ce cursus CPES a notamment vu le jour dans le but d’une harmonisation du cycle pré-professionnel sur l’ensemble du territoire français puisque de nombreuses régions avaient refusé la mise en place du CEPI. 

 

Nous, enseignants artistiques des Hauts de France, sommes donc, avec les élèves, les « dindons de la farce ».

Nous qui avions oeuvré pour le CEPI et le DNOP en renforçant les réseaux d’établissements, en harmonisant les contenus, et en mettant en place les examens communs. Avec l’annonce de ce cursus CPES aux contours flous, le CEPI et le DNOP sont supprimés subitement, un agrément temporaire CPES vient s’y substituer et … finalement plus rien ! Ce travail en profondeur, construit pas à pas, au cours de nombreux échanges est réduit à néant par une décision soudaine de ne pas délivrer l'agrément CPES, après avoir laissé entendre qu'il s'agirait d'une formalité, dans la continuité du CEPI. Pourtant le guide pratique d'une demande d'agrément CPES indique qu’“Une attention particulière doit donc être apportée aux établissements (...) qui développent la mise en réseau des établissements”. 

 

Et que dire donc des objectifs d’harmonisation de ce CPES ? C’est l’effet inverse qui est obtenu, comme en témoigne ce petit historique, certainement non exhaustif, mais qui montre bien les incohérences ainsi que la gestion « en allant » de ces réformes en cours, et le repli que cela occasionne : 

 

  • Le CPES identifié et positionné comme équivalent au CEPI : Il y a 2 ans l’agrément a été remis automatiquement aux établissements qui dispensaient le CEPI, les étudiants ont été basculés de facto du CEPI au CPES. 
  • La suppression d'un diplôme sans autre perspective : Le DNOP (Diplôme National d’Orientation Professionnel, qui était l’aboutissement du CEPI) a été supprimé l’année suivante.  
  • Une absence de lisibilité : une nouvelle appellation pour les mêmes contenus ? De nombreux établissements qui dispensaient le CEPI ont indiqué que le CPES aurait la même maquette d’enseignements. On a finalement appris, bon an mal an (faute d’instructions nationales claires) que l’entrée en CPES se situait à un niveau supérieur à celui de l’entrée CEPI. Certains conservatoires, et pas des moindres, dans des régions qui n’avaient pas mis en place le CEPI, le situaient même après le DEM (Diplôme d’Études Musicales, aboutissement d’un cycle 3 spécialisé qui a donc été remplacé dans notre région par le DNOP). 
  • Une harmonisation illusoire, par manque de directives claires ? Chaque établissement y est donc allé selon sa propre appréciation, le développement des réseaux d’établissement et l’harmonisation des contenus pédagogiques qu’avait permis le CEPI ont été mis à mal.  
  • Une appellation qui appelle de nouveaux cursus, sans concertation : Faute de diplôme (suppression du DNOP) les établissements se débattent pour maintenir une proposition cohérente en cycle III, c’est le retour des COP (Cycle à Orientation Professionnel) et des DEM (qui sont des diplômes d’établissement). Nous voilà revenus quinze ans en arrière ! 
  • Des élèves ballotés de cursus en cursus, avec un impact non moindre sur leurs parcours : Refus de l’agrément CPES pour de nombreux établissements, les étudiants CPES des 2 dernières années ne seront donc bientôt plus en CPES, et perdront du même coup la possibilité du statut étudiant.  

 

Des « règles du jeu » changeantes : Deus ex machina ! 

 

Il faudrait ajouter que les critères d’évaluation pour l’obtention de l’agrément restent flous, et semble-t-il à géométrie variable. Ainsi certains établissements ont pu déposer un dossier commun et être agrées en commun, alors que d’autres ayant également déposé un dossier commun ont obtenu des réponses différentes : un conservatoire agréé et les autres non. Et pour enfoncer le clou des incohérences, on a reproché à ces derniers un dossier pédagogique avec des faiblesses (justifiant ainsi le refus de l’agrément), alors que c’est avec le même dossier qu’un des établissement a obtenu l’agrément. 

Il reste l’argument du nombre d’élèves nécessaires (qui mériterait d’être débattu en tant que critère : la culture et la politique du chiffre, est-ce bien compatible ?), mais même là les incohérences pointent, car dans certaines disciplines des établissements qui se sont vus refuser l’agrément ont des élèves en CPES, là où des établissements ayant eu l’agrément n’en ont pas. 

 

Un avenir incertain 

 

Dans ces conditions, comment ne pas s’interroger (et s’inquiéter) sur les motivations et la démarche de la direction générale de la création artistique (DGCA), et sur la politique culturelle envisagée pour nos établissements, notamment de type CRD (Conservatoire à Rayonnement Départemental) ? 

Quoi qu’il en soit cela témoigne d’une bien piètre considération pour les enseignants qui travaillent depuis deux ans sur les programmes et les contenus, et qui peinent à une projection pédagogique sereine en raison des multiples rebondissements, avec bien entendu toutes les conséquences que cela comporte pour les élèves. 

 

Quelle considération, dans l’immédiat, pour les élèves qui passent d’un statut à un autre (perdant au passage la possibilité du statut étudiant), d’un cursus à un autre, et qui n’auront plus accès à ce CPES (ni au CEPI) ? Quel message cela envoie-t-il aux familles qui portent, encouragent leurs enfants dans une voie artistique qui a toujours comporté, déjà avant cela, son lot d’incertitudes ? 

 

Quelle considération pour le maillage territorial et les élèves toujours ? Aucun cursus CPES dans le Pas-de-Calais par exemple. C’est un cursus que les élèves sont sensés pouvoir intégrer avant le baccalauréat ; l’idée est-elle réellement de déraciner un jeune élève prometteur de 15 ans loin de sa famille et de ses amis pour qu’il puisse intégrer un CPES ? Quid de l’importance de la cellule familiale, de l’environnement familial, quid de l’épanouissement de l’élève pour réussir ? Et ce, sans aborder l’engagement financier que cela représente ! Voilà qui est en totale contradiction avec les objectifs annoncés dans le guide pratique d'une demande d'agrément CPES : “L’objectif de cet agrément est de proposer une offre publique d’enseignements préparatoires exigeante répartie équitablement sur le territoire national afin d’offrir à tous les jeunes les mêmes chances d’entrée dans l’enseignement supérieur de la création artistique et ainsi de favoriser la diversité des profils des artistes de demain, notamment par l’ouverture de droit à bourse.”  

 

Quelle considération et quel projet pour nos établissements ? 

C’est aujourd’hui l’équilibre entre l’éducation artistique et culturelle et la démocratisation de la culture d’une part, et l’exigence de l’excellence pour les futurs professionnels d’autre part, qui fait la richesse de nos métiers d’enseignants artistiques spécialisés. Avec cette réforme de nombreux enseignants se voient refuser symboliquement la possibilité d’emmener leurs élèves vers l’enseignement supérieur. Si les conservatoires non agréés trouveront sans aucun doute des solutions pour proposer un troisième cycle spécialisé de qualité, qui n’est pas un obstacle en soi, à l’heure actuelle, pour se présenter aux concours d’entrée des établissements supérieurs, comment avoir la certitude, face aux élèves et aux familles, que les élèves suivant un cursus CPES n’auront pas davantage de chances de réussite aux concours du supérieur ? Comment ne pas renforcer cette sensation diffuse qu’il y aurait des établissements à deux vitesses ? 

De plus, si des élèves sont contraints d’aller faire ce cursus ailleurs, cela changera de manière certaine le visage de nos conservatoires et de nos classes. Les plus jeunes élèves seront privés des éléments les plus moteurs qui sont des exemples, voire des modèles, et qui véhiculent sur notre territoire toutes les valeurs que porte l’apprentissage artistique au plus haut niveau.  

Que dire enfin du discrédit porté sur des équipes pédagogiques méritantes, qui n’ont souvent pas à rougir du niveau de qualification ? Que penser de cette mise en concurrence qui n’a pas lieu d’être, entre niveau de classement des établissements, établissements agréés, nombre d’élèves inscrits en CPES, etc. ? 

Comment ne pas affirmer que les CRD, et leur territoire, subiront une perte d’attractivité évidente avec une démobilisation de nombreux professeurs qui ne souhaiteront plus enseigner dans ces établissements non agréés, avec encore une fois des conséquences sur l’offre du service public à l’échelle de la région ? 

 

Cette réforme, les valeurs qu’elle porte et la méthode avec laquelle elle est mise en place suscitent beaucoup de découragement et de démotivation. Cela sonne comme un désaveu de nos établissements, des équipes qui y travaillent, et surtout des élèves qui les fréquentent.  

 

Nous avons rédigé ce courrier car tout cela ne pouvait se faire dans l’indifférence générale, sans que nous ne réagissions et manifestions notre profonde désapprobation, et sans que chacun soit informé. 

 

Nous espérons enfin, au regard de tout ce qui est exposé ci-dessus, que des mesures pourront être prises afin de rétablir une situation acceptable par tous, et surtout au service des élèves, de tous les élèves, où qu’ils soient sur le territoire, et quelle que soit leur situation.

 

Des enseignants artistiques des Hauts de France

 

Auteur : Des enseignants artistiques des Hauts-de-France

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